CHRISTINE MAHY est secrétaire générale du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté. POUR FAIRE DE LA POLITIQUE, JE PENSE QU’IL FAUT AIMER SON PEUPLE. AIMER AU SENS FORT DU TERME. C’EST À DIRE, SOUHAITER QU’IL SOIT BIEN ET QUE TOUT LE MONDE SOIT BIEN. Aujourd’hui, Je pense que l’on est entré dans des champs d’organisation de la politique qui sont terriblement violents, agressifs, stigmatisants…

 

Oui, j’ai toujours été sur le terrain et j’estime que j’y suis encore même si je suis aujourd’hui dans une lutte plus fédérative en quelque sorte. J’essaye que l’on prenne en compte la réduction des inégalités dans tous les champs de la société. Mais en continuant à le faire à partir et avec la force et les propos des gens concernés par les exclusions, par l’exploitation, le rejet…Parce que la raison de se battre (en tout cas pour moi) c’est de changer les choses pour que la population ne soit pas atteinte dans sa vie à ce qu’elle a droit et qui devrait être agréable, généreuse, confortable, solidaire, collective, empreinte d’un désir de rencontrer les autres.

Je suis née en milieu rural et je viens d’une région où je n’ai pas du tout appris la militance. J’habite en province du Luxembourg. Je viens d’une famille où je n’ai pas du tout appris la militance. J’ai fait des études d’assistante sociale où je n’ai pas du tout appris la militance. Mais, il y a un germe en moi qui a fait naître l’idée qu’il y avait des choses qui étaient inégales.

Quand j’ai fait l’école sociale, j’ai manqué d’arrêter en me disant que l’on était occupé à m’apprendre à mettre les gens en ordre pour qu’ils rentrent dans les cases des institutions, des administrations, des systèmes…Cela m’a bousculé vraiment en me disant : moi, j’ai l’impression que les gens ont plein de ressources mais, ils ne sont pas tellement écoutés par rapport à ce qu’ils sont en train de faire.

Il y a des citoyens qui ne se reconnaissent plus dans comment ils sont représentés ou qui disent même : on n’est plus représenté, on ne se sent plus là-dedans…Je trouve que c’est légitime. Il y a de la colère. Il n’y en a peut-être pas encore assez. Il n’y a en tout cas pas encore du : mettons-nous tous ensemble pour faire comprendre que ça suffit…

On est dans des tensions fortes sur des choses essentielles et qui obligent les gens à manger la créativité, les potentialités, les forces parce qu’ils ont à régler les besoins primaires du quotidien tout le temps. Quand c’est un petit peu… Quand c’est momentané… Quand c’est parce que l’on est dans un changement de vie, on peut encore le comprendre. Mais quand ça devient le contenu d’une vie…

De plus, on est dans un moment sociétal où on va en plus les agresser en leur envoyant dans la figure que c’est eux qui sont passifs, c’est eux qui coûtent chers, c’est eux qui seraient le trou dans le budget de l’État, c’est eux qui seraient le paquet encombrant, c’est eux qui n’auraient pas d’idée, c’est eux qui ne sont pas adaptés…Alors, que ce sont des gens en énergies terribles. Et moi, parfois, je me dis : mais quelle force pour encore se lever le matin et trouver du sens…quand une société a construit autant d’espace de déconsidération de sa population.

On le voit avec la population qui vit chez nous, la population belge qui est précarisée qui a du mal. On le voit avec les populations accueillies chez nous. On le voit évidemment quand on parle des demandeurs d’asile ou des gens qui veulent transiter par notre pays pour aller en Angleterre. Mais, on est à des pics d’indécence, on est à des pics (j’ai envie de dire) de crapuleries et de manipulations politiques pour faire croire à la population qu’on est en danger. Que c’est gens sont un problème. Il y a nécessité de se regrouper pour se battre contre ça.

Il y a évidemment à faire un énorme travaille d’éducation permanente, d’éducation populaire. Arriver à dépolluer les esprits du fait que c’est la responsabilité individuelle. Que le parcours serait le parcours de la méritocratie. Que c’est la faute des gens. Et souvent, je trouve que dans le débat sur la transition, dans les manières de lutter…j’entends souvent des gens qui reviennent sur : c’est une question de décision. C’est une question de volonté individuelle, il suffit de le choisir. Moi, un jour j’ai décidé que je mangerais autrement ou un jour j’ai décidé que je me mettrais avec des voisins pour faire un potager. Ou un jour, je me suis dit : je n’ai plus besoin de tous ces appareils électriques-là. Oui, mais la question de la volonté (du choix de la liberté, tout ça) est complètement conditionnée aux réalités d’existences dans lesquelles on est. Si on est en fragilité financière, si on n’a pas une famille très solide avec soi parce que peu nombreuse, parce qu’elle est à plusieurs endroits dans le monde. Si, on a subi les affres des institutions coup par coup, d’avoir perdu un emploi…Tout ça, c’est compliqué. Donc, il faut essayer de faire comprendre que l’on ne peut pas permettre que les initiatives se confirment dans le risque de la loi de la jungle.

CHRISTINE MAHY