UN FÉMINISME MUSULMAN ET, POURQUOI PAS ? Tant que nos mères rasaient les murs, qu’elles faisaient le ménage avec le foulard, cela ne posait pas de problème. Sauf que là, on est face à des femmes qui ont une analyse politique des enjeux, qui ont cette pensée articulée et qui sont rendues visibles. Donc, des femmes qui contribuent à l’histoire de la résistance des femmes. MALIKA HAMIDI. (PARTIE 1)

Depuis quelques années, de nouvelles voix se font entendre pour penser des alternatives au féminisme hégémonique qui a montré ses limites et parfois sa complicité lors de – l’affaire du voile – et que certains milieux qualifient de – blanc – Elles sont nombreuses, ces voix, qui appellent à un féminisme musulman, décolonial ou se revendiquent de l’afro-féminisme. La nouvelle publication de Malika Hamidi, – un féminisme musulman – sera dans ce contexte, l’occasion d’un débat de fond et prometteur avec Malika Hamidi, Houria Bouteldja et Khadija Sehadji.

L’appellation de – féminisme musulmane – ne vient absolument pas des féministes militantes elles-mêmes. C’est que simplement à un moment donné, on a fait émerger ce label puis des femmes musulmanes voilées ou pas, on dit : finalement ce label, (ce concept) renferme toutes les luttes dans lesquelles je me retrouve.

J’ai fait mes enquêtes de terrain auprès de féministes musulmanes en France, en Belgique et au Canada. Donc, l’Occident francophone en réalité. La lutte est plus d’ordre sociopolitique. Quand vous interviewez des féministes musulmanes et vous leur demandez de développer : qu’est-ce que le féminisme musulman ? Comment il se traduit sur le terrain ? Ce qui ressort systématiquement, c’est : une lutte sociopolitique. Une lutte contre toutes les formes de discrimination. – Et mon foulard ? Mon foulard, il est anti-impérialiste. Mon foulard, il est politique…

Alors : –  un féminisme musulman et pourquoi pas ? –  Pour celles et ceux qui reconnaîtraient la phrase désormais mythique de Christine Delphy, (militante dans les années 60-70 dans différents groupes féministes liés au Mouvement de libération des femmes dont elle est l’une des fondatrices)…j’ai voulu rendre hommage en donnant ce titre à mon ouvrage. Pourquoi ? Parce que en réalité, quand elle a prononcé cette phrase, non seulement, elle a créé le buzz dans le mouvement féministe – comment une figure historique du féministe français, qui a été proche de Simone de Beauvoir pouvait tout à coup s’allier à des islamistes pour revendiquer des droits ? Cela a complètement perturbé le mouvement féministe mainstream et divisé le mouvement. Et puis, surtout ça a valu à Christine Delphy (comme elle le disait) d’être traînée dans la boue par ses collègues. Puisqu’on l’a accusé d’ouvrir des boulevards aux islamistes. Donc, ça a été quand même assez intéressant, une belle crise salutaire. C’est la raison pour laquelle, j’ai souhaité rendre hommage à Christine Delphy qui a eu cette loyauté, ce courage politique d’être aux côtés des femmes musulmanes et de lutter contre cette loi raciste, liberticide, antidémocratique qui a valu de renvoyer un certain nombre de femmes à la maison. De jeunes filles à la maison avec une violence incroyable.

Dans le monde anglo-saxon, ça fait déjà quinze à vingt ans que l’on publie des bouquins sur le féminisme islamique et sur le féminisme musulman. C’est rigolo. En France et en Belgique aussi, on a toujours du retard. C’est-à-dire que cela fait vingt-ans que la question, elle est clarifiée. Aujourd’hui, en Europe francophone, on est encore à se demander : est-ce que l’on peut-être féministe et musulmane ? Il n’y a plus ce débat-là dans le monde anglo-saxon. La question, elle est tranchée. On n’en est plus là.

Moi, mon ouvrage arrive modestement au contexte francophone pour donner des outils, des clefs de réflexion. Qu’est-ce que c’est finalement ce féminisme musulman dans le monde francophone ? Pour réconcilier, pour clarifier les enjeux du débat. Mais cela inquiète puisque du coup, on se retrouve face à une génération de femmes musulmanes qui se revendiquent féministe ou pas. Je rappelle aussi que vous avez des femmes qui sont engagées dans des projets politiques pour aller vers cette égalité entre les gens, mais qui ne s’identifient pas de féministe et ça, c’est très intéressant aussi dans mes enquêtes de terrain et qui ressort systématiquement. Ce sont des femmes qui disent : oui, il y a des discriminations, oui, je veux me battre pour une égalité, mais je récuse cette identité de féministe. Je ne suis pas féministe. Ce n’est pas grave. Pour moi, l’essentiel, c’est que l’on ait compris une chose : c’est qu’aujourd’hui, les droits des femmes musulmanes et d’autres femmes sont bafoués. Il faut faire émerger des projets politiques pour lutter contre toutes ces formes de discrimination que l’on soit féministe ou pas. Ce qui m’intéresse aujourd’hui, c’est qu’il y a de l’islamophobie, qu’il y a des femmes qui sont oppressées pour différentes raisons.

Des femmes qui font voler en éclats cette image stéréotypée que l’on a des femmes musulmanes…On a des femmes qui sont voilées ou pas voilées et qui dans ce qu’elles dégagent et dans la manière dont elles parlent, on sent qu’il n’y a pas d’oppression. On sent qu’il n’y a ni le père, ni le frère. Non. Il y a vraiment quelque chose qui vient de l’intérieur. Il y a une lutte  qui est portée de l’intérieure et qui dérange et qui fait peur puisque l’on est face à des femmes qui ont cette réputation d’être rebelle et incontrôlable.

MALIKA HAMIDI – UN FEMINISME MUSULMAN ET, POURQUOI PAS ? – EDITIONS DE L’AUBE –

RECONTRE ORGANSÉE PAR BRUXELLES PANTHÈRES