J’ai besoin avant toute chose de questionner le concept de féminisme avant même de savoir si c’est légitime ou pas. Si, il y a un féminisme islamique ou pas. Un féminisme décolonial ou pas. Un afroféminisme ou pas. AVANT MÊME DE M’ENGAGER LÀ, JE PENSE QU’UNE RÉFLEXION DÉCOLONIALE NOUS OBLIGE À QUESTIONER LE FÉMINISME EN TANT QUE TEL. La pertinence du féminisme et le paradigme dans lequel il est, pour ensuite déterminer si oui ou non il faut aller dans cette direction…On prend le féminisme (par exemple) comme un fait tellement supérieur qu’il n’est pas questionable. C’est une jauge et on doit tous s’adapter à cette jauge…Moi, j’ai un problème d’un point de vue décolonial avec ça. Pourquoi ? HOURIA BOUTELDJA (PARTIE 2 ET FIN)

Avant d’aborder immédiatement ce sujet, j’aimerais quand même dire que j’appartiens à une tradition matérialise. C’est-à-dire qu’en fait, toute la réflexion qui est la mienne et du Parti des Indigènes de la République est une réflexion qui n’est pas abstraite. C’est une réflexion qui est fondée et qui relève de l’histoire mais aussi des rapports de forces. De l’État. De l’impérialisme. Du système économique. Cette chose que l’on appelle la modernité occidentale. Notre pensée au Parti des Indigènes de la République est une pensée matérialiste. C’est-à-dire, qu’elle ne vient pas d’une espèce d’abstraction idéologique. Elle ne vient pas d’un corpus idéologique. Elle part à partir des rapports de forces sur le terrain. Elle vient à partir de l’histoire…Notre approche est toujours située quelque part. On n’est jamais en suspension. Et ce quelque part est l’immigration postcoloniale en France. On part de conditions spécifiques, dans un contexte spécifique qui est l’État. L’État français. La République. C’est à partir de là, que l’on réfléchit. Évidemment, tout ce que je dis, est à partir de cette longue histoire coloniale et de son présent postcolonial.

Et c’est vrai que pendant de longues années, on a perdu notre temps à vouloir expliquer, justifier le voile et tu dis (Malika Hamidi) que tu en as marre et à juste titre. Moi, j’en avais déjà marre au début donc autant te dire que ça fait longtemps que j’en ai marre. Mais ça fait longtemps que j’aie pris conscience qu’il ne servait à rien de se justifier ni d’en parler parce que je crois que quand on répond – ce n’est pas simplement que l’on a tort de répondre – c’est que l’argumentation n’a aucun sens dans la mesure, où on n’a pas identifié la raison de la crispation et de l’hystérie. Tant que l’on ne sait pas pourquoi il y a de l’hystérie – on ne comprend pas – on répond à côté parce que l’on n’a pas identifié les raisons de l’hystérie…

C’est ça le message qui est envoyé. Et, c’est ça, l’intelligence qu’il faut reconnaître à ceux qui se crispent. Ils ont compris que ça veut dire : mon corps, ne vous appartiendra pas. Vous voulez le conquérir, vous voulez le soumettre ? Et bien on est en train de vous dire collectivement – ce n’est pas une femme qui porte le voile ici ou là, c’est un phénomène social massif – il y a un corps social qui répond, qui se lève et qui dit : non, nous on ne joue pas à ce jeu. C’est ça, que ça signifie…

On a fait échoué le projet de la beurette. Cela veut dire que devant vous, vous avez un corps social qui ne se soumet pas. Qui n’acceptera pas vos règles, qui entend définir sa voie, sa propre existence et qui ne veut pas être façonné. D’autant que l’on a une mémoire même si c’est une mémoire qui est brouillonne même si elle n’est pas claire dans nos têtes…elle est encore là et elle résiste au façonnage colonial. Nous voulons faire échouer le projet Républicain de la beurette. La beurette qui doit être une femme moderne. Qui doit se libérer de sa famille, de son père, de son frère, de sa religion…

Je comprends que les féministes blanches sont situées quelque part et qu’elles (dans les années 70) ont éprouvé le besoin de dire : mon corps, m’appartient. C’est autre chose. Je ne juge pas sauf que moi qui vis l’oppression de la race en France et bien je ne suis pas une femme blanche et si je ne suis pas une femme blanche, j’ai donc un destin de femmes indigènes. Et une femme indigène – là où elle est – ne peut pas réfléchir comme une femme blanche. C’est aussi simple que ça. La femme blanche – contrairement à moi – n’a pas un frère opprimé racialement. Les femmes blanches ont des hommes – qui pour la plupart – ne sont pas en prison. Alors, que nous, dans les quartiers, on a des mecs qui sont en prison. Les frères, les cousins, etc. Donc, on a un rapport avec les hommes qui est très différent du rapport que les femmes blanches ont avec les hommes blancs. Parce que l’homme blanc (par définition) est celui qui est au-dessus de la femme blanche. Il y a l’homme blanc, la femme blanche et nous – en tant qu’indigène – on est en dessous de ces deux catégories.

Les hommes de nos communautés ce sont des balourds, des violents, des enfoirés, oui. Si, on veut  les transformer, cela ne sert à rien de faire la – bataille – entre nous deux et de continuer une bataille qui va nous pourrir les uns les autres. Il faut identifier la source de la violence de cet homme-là. Il faut l’identifier. C’est ça un féminisme décolonial ou féminisme musulman…Un féminisme musulman et bien il doit effectivement prendre en charge la question épineuse de la condition des femmes qui est absolument terrible. Mais en ayant cette perspective décoloniale qui est d’identifier la source de la violence. Il me semble que c’est une erreur d’aller chercher les sources de la violence dans les écrits du Coran plutôt que dans les États autocrates qui dominent et qui oppriment les peuples du sud et qui sont objectivement les alliés occidentaux. Et, en ce qui nous concerne ici, pareil : identifier la République ou la monarchie parlementaire qui institutionnalise les rapports de violence. C’est ça, une approche décoloniale.

Soit, on a une pensée qui est structurelle, qui est fondée sur les rapports de forces (les réels rapports de forces), soit c’est une plaisanterie…

C’est quoi les revendications dans les quartiers pendant 30 ans ? Prioritairement, c’est le rapport à la police. Quand on comprend ça, on sait que les gens ont des priorités. C’est tout. On ne l’a pas inventé. On l’a observé depuis 30 ans. La police, c’est un concentré de tout. Ce n’est pas simplement que l’on n’a pas de travail, c’est que l’on peut mourir. Donc, c’est beaucoup plus que simplement la lutte des classes. On est dans un rapport violent avec l’Etat. Et les gens des quartiers en France, la première chose qui revient depuis 30 ans c’est : la police, le racisme et l’impérialisme…

HOURIA BOUTELDJA

RENCONTRE ORGANISEE PAR BRUXELLES PANTHERES