À présent, permettez-moi de répondre très personnellement à votre courrier. Il est 17h00. JE PRENDS LA LIBERTÉ DE CASSER MON FUSIL POUR AUJOURD’HUI ET D’INTERROMPRE JUSQU’À DEMAIN MA CHASSE À L’EMPLOI…CHRISTINE VAN ACKER

J’affiche cinquante-cinq ans au compteur, dont plus de trente ans à vivre mes jours comme une formation quotidienne, pas de ces formations que vous proposez qui ne me mèneraient nulle part, non, de celles que les rencontres, les expériences, les hasards, les amitiés, les amours ont mises sur mon chemin, celles qui m’ont fait avancer avec un peu plus d’assurance sur les chemins tortueux de l’existence, commençant à percevoir une certaine maîtrise dans ce que j’entreprends. – Cent fois, sur le métier remettez votre ouvrage… – Me voici aujourd’hui, face à vous, un bureau entre nous ne donne à voir à l’autre qu’une moitié de corps. Vous voudriez considérer mes efforts sur une période de quelques mois, comme si je n’étais apparue dans le monde du travail (à partir de maintenant, c’est moi qui prends la parole, nous ne dirons plus ni marché, ni emploi) que depuis quelque mois. Renaîtrions-nous de nos cendres à chaque fois que vous réexaminez nos dossiers ? Et, pour renaître, nous tueriez-vous chaque fois ? Nos expériences personnelles, pareilles à nos aspirateurs ou à nos grille-pain, devraient-elles obéir à la loi de l’obsolescence programmée ?

Savez-vous dans quelle pièce vous jouez ? Et, si oui, pourquoi continuez-vous à endosser le costume de votre personnage ? La sécurité de l’emploi ? À quel prix ? Le savez-vous ? Vous faites le jeu des prédateurs…

J’ai, pour ma part, la chance d’être lettrée, mais je pense à ceux qui se débattent avec la lecture, l’écriture, et qui seront mangés tout cru faute d’avoir eu la chance de maîtriser mieux cette arme. Car l’écriture est une arme, que je brandis ici, pour riposter à cette agression venue des hautes instances ministérielles qui sont, elles-mêmes, à la botte des multinationales. Poursuivez les fraudeurs fiscaux à grande échelle, n’octroyer plus des dédommagements faramineux aux grands patrons qui sont remerciés pour leurs malversations.

Si vous nous éteignez tous, attendez-vous, le matin, en allumant votre radio à ne plus entendre de musique, à ne plus voir d’affiches devant vos cinémas préférés (il n’y aura plus de scénaristes, de comédiens, de réalisateurs, de monteurs, d’éclairagistes pour les réaliser), à enfiler un sac de jute à la place d’une robe ou d’un costume (il n’y aura plus de stylistes pour les créer), à entrer dans une voiture informe (il n’y aura plus de designer), à utiliser des objets rudimentaires. Notre pays se retrouvera teint uniformément en gris et vous vous en étonnerez trop tard. C’est aujourd’hui qu’il faut en prendre conscience. L’utile et l’inutile ne sont pas du côté que vous pensez. Qui, de vous ou de nous, est le plus productif (s’il faut parler en termes marchands) ? Qui crée le plus d’emplois ? J’ai décidé de consacrer ce qui me reste de vie (j’insiste) à ne pas participer à cette dislocation de nos droits sociaux, de nos solidarités, à ne pas creuser encore le fossé entre les nantis et les de plus en plus précaires, de mettre mon temps à profit, et non pas dans le profit, d’une amélioration de notre société et non sa dégradation. C’est pour cette raison que je ne veux plus le perde en répondant à de vaines convocations, en signant des contrats qui prouveraient que je suis bien – activée – Je le suis, bien active, c’est-à-dire vivante. Tous, nous devrions avoir ce courage, nous aurions tout à y gagner. Imaginez-vous cette foule de nouveaux non-chômeurs dans la rue. Imaginez alors, ce que vous pourriez faire, vous, de votre emploi devenu inutile. Nous rejoindriez-vous ? Nombreux, nous nous tiendrons bien chaud.

Aujourd’hui est le jour de ma dernière convocation.

CHRISTINE VAN ACKER – LA DERNIERE CONVOCATION – AUX EDITIONS : CACTUS INEBRANLABLE

Avant que je remette le texte au FOREM, lors de ma dernière convocation, j’ai fait appel à l’équipe pour compléter ce qui ne pouvait plus s’appeler un – dossier -, mais un manifeste. J’ai demandé à d’autres artistes : Combien de jours de contrat avez-vous dans l’année ? Ajoutez, si vous le voulez, quelques mots au sujet de votre statut, ou a propos des convocations telles que vous les avez vécues.

ANNE VERSAILLES – LAURENCE VIELLE – VERONIKA MABARDI – LAYLA NABULSI – MARC GUIOT – CLAIRE ALLARD – BEATRICE DIDIER – FRANCOISE NICE – PAOLA STEVENNE – FRANCE EVERARD – JACKY DEGUELDRE – EVA KAVIAN – CELINE RALLET