C’est quoi ça encore (tout) ce : TAM TAM ?

Des prises de paroles, témoignages, chroniques des acteurs et actrices de terrain, du secteur des soins de santé, de la justice et du monde du travail.

Ma contribution est d’apporter un petit témoignage de mon quotidien. – Docteur, j’ai mal au ventre. – Ah, dis-je ? Il est là, devant moi. Il a 50 ans. Il porte une casquette. Il a une barbe. Il est mal rasé. Je sais qu’avant, il travaillait au supermarché. Il portait des caisses toute la journée. Il boit un peu à mon avis. Il ne me ressemble pas. Mon cerveau limbique, mon cerveau primitif, mon cerveau de médecin, fille de médecin qui lui-même était fils de médecin se dit d’abord : encore un qui mange n’importe quoi. Et puis, il y a mon deuxième cerveau, le cortex frontal, un peu plus évolué, celui qui a été formé en maison médicale qui se dit : Hélène, les déterminants sociaux de la société quand même ! Lui, il n’a pas eu la chance que tu as eue depuis que tu es petite. On t’a appris à manger des légumes, à te brosser les dents. On t’a payé des études. Tu n’as pas un job de merde (enfin des fois, je me le demande). Lui, il n’a pas eu le choix. Il est différent de toi. Tu dois l’accepter comme il est. Ok. Puis, je continue la consultation. Je papote avec lui. Je l’examine, etc. Et à un moment donné quand je suis prête à lui faire mon petit – speech – bien aimé sur l’hygiène de vie, il me dit :  – Oui, mais docteur, je sais, c’est le chômage qui me donne mal au ventre. Là, je viens de me prendre une petite piqûre de rappel qui me fait du bien. C’est pour ça que j’aime mon métier. Il vient de me rappeler en deux secondes que, en effet, je suis à côté de la plaque. Je le sais au fond de moi que c’est notre société qui génère des maladies.

Les caisses publiques sont vides, paraît-il ? Il faut faire des économies. C’est la crise. Il n’y a pas assez d’emplois. C’est la faute à qui ? C’est la faute aux chômeurs. C’est la faute aux musulm…aux terroristes. C’est aussi un peu la faute des migrants. Je simplifie volontairement mais c’est ce que l’on entend presque tous les jours. Alors, qu’est-ce que l’on fait ? Alors, on culpabilise les individus jusqu’à la maladie. Et voir même des fois, on suggère carrément qu’ils deviennent malades. – Demandez au médecin qu’il vous mette en maladie. On entend ça parfois dans les CPAS, à l’ONEM et c’est ainsi que commence une petite partie de ping-pong entre les différentes caisses publiques. C’est notre réalité malheureusement. Mais heureusement on est content de savoir que nous sommes nombreux à avoir compris tout ça. Des initiatives comme TAM TAM, cela permet de (le) faire savoir et on sait que l’on pense qu’il faut trouver d’autres solutions. Notre gouvernement actuel (qui quand même est élu, il faut le rappeler) ne voit pas les choses sous cet angle. Il continue d’appliquer des recettes qui sont à l’oeuvre depuis plus de 30 ans et même il les durcit. Privatiser ce qui appartient aux biens communs comme la santé est semble-t-il la ligne de conduite et ce en dépit de nombreuses études qui prouvent que ce n’est pas plus rentables, plus efficients et même pas plus qualitatifs pour les plus riches. L’exemple criant des État-Unis devrait suffire mais apparemment  ça ne suffit pas. Un autre exemple est l’industrie alimentaire. On n’y touche pas. Et surtout pas à l’industrie pharmaceutique en sachant pertinemment que la malbouffe généralisée et la consommation de médicaments est quand même deux grandes faucheuses de santé publique.

Et enfin, j’ai envie de partager un dernier exemple qui est un petit peu hors-cadre. J’imagine que vous êtes au courant de la récente nouvelle idée du ministre Koen Geens d’intégrer les asbl dans le cadre de société. Ce qui est un dernier exemple criant qu’il y a un déni profond pour le sens de ce qu’est le secteur du non-marchand. Pour la possibilité dans notre société de faire des choses qui ne sont pas de type économique. Voilà où on en est. J’ai récemment lu qu’il nous manquait une utopie collective. Que l’on ose plus rêver. Comment avancer si on ne sait plus où l’on va ? On sait ce que l’on veut garder et c’est super important. Il faut continuer à se battre pour ça. On veut garder les idéaux qui se sont construits après-guerre. Une sécurité sociale solidaire universelle et j’ai même envie de rajouter nationale. Malheureusement, il faut le rajouter maintenant en Belgique. On sait que l’on veut le droit à la santé. On sait que l’on veut un travail décent. On sait que l’on veut respecter les droits de l’Homme. Oui, mais qu’est-ce que l’on veut en plus ? Comment aller plus loin ? Est-ce qu’une partie de la solution (ce n’est pas la seule, j’en suis consciente) ne serait pas de commencer par rentrer en résistance. C’est-à-dire désobéir quand cela devient de la bureaucratisation absurde. Quand on nous demande de remplir des formulaires stupides. Quand la justice commence à délirer.

Les maisons médicales belges qui souhaitent offrir des soins de qualité à tous est un exemple parmi beaucoup , beaucoup d’autres. C’est un exemple (pour moi) que des rêves peuvent aboutir même si on est loin d’être parfait. Et, on est heureux quand même et malgré tout d’être là pour pouvoir le partager.

 

RENCONTRE ORGANISÉE PAR TAM TAM AVEC CHRISTINE MAHY + KATI VERSTREPEN + VINCIANE SALIEZ + HÉLÈNE DISPAS + DAVID MENDES + BRIEUC WATHELET + EDGAR SZOC + PAUL MOSSERAY + PIERRE COOLS + RIK VAN COILLIE + YVES HELLENDORFF