On a X lits et ces lits dans les hôpitaux doivent être remplis. Parce que des lits vides sont des lits qui ne suscitent pas de financement et donc, on a une pression managériale très importante soit pour fermer des unités (comme ça on ne paye pas de personnels, de matériels, etc.) soit, remplir les espaces vides. On gère un peu ça comme des sièges de chez Ryanair. Il faut avoir un roulement dans les unités de manière assez intense. Les chefs de service sont notés sur leurs taux de remplissage. Il y a tout un management derrière qui va mettre la pression sur l’ « efficacité » de l’hospitalisation et le taux de l’occupation. Et toute cette pression nous pousse dans une course aux soins ou exsangue de ce calcul tout le rapport humain.
L’Union européenne a dicté des mots d’ordre de privatisation du système de la santé dans tous les pays et c’est pour ça qu’en France, ils subissent des attaques très fortes du service public. En France tous les hôpitaux sont publics…
Oui, dans les maisons de repos, il y a par exemple de la m…. Les Pampers coûtent chers et donc, c’est 1 ou 2 Pampers par personne [patient] par jour. Au-delà de ça, les gens doivent traîner dans leurs urines. C’est terrible. Vraiment terrible !
Moi, je suis assez mitigé par rapport au soutient du corps médical. Le corps médical fait partie d’une classe qui par moment oppresse le corps soignant. On est très content des médecins qui soutiennent. Après ce n’est pas la majorité. Ils ont une condition sociale et des perspectives individuelles qui ne les poussent pas à une solidarité entre les travailleurs.
La patiente pleurait. J’ai pris un quart d’heure de plus. Ce n’est pas entendable pour eux [le système managérial] et on en vient à violenter les patients.
Je travaille en chirurgie cardiaque. Je fais le suivi postopératoire à l’étage et comme je suis (comme tous mes collègues) surchargé de travail quand j’accueille un patient, c’est mon ordinateur qui fait le contremaître. Il va me dire : « Pose telle question à ce moment-là. » « Clique là-dessus. » Et au fur et à mesure, j’avance. Je n’ai pas du tout d’espace pour discuter. Je les coupe toutes. C’est le premier contact que le patient a avec la structure hospitalière, le premier moment ou il peut s’arrêter et expliquer son mal être et pourquoi il est là. Pourquoi est-il devenu malade ? Pourquoi dans son contexte social il y a ceci ou cela qui fait qu’il est plus malade que quelqu’un d’autre. Mais tout ça , je biffe. Parce que je n’ai pas le temps.
Nous, nos petits maux mis bout à bout, jour après jour, nous font complètement craquer. C’est ça, le ras-le-bol. Et c’est pour ça que je disais que pour les soignants c’est une double question. On n’a pas le temps de soigner en fonction de notre idéal. On n’a pas assez de personnels. On a des conditions de travail qui sont intenables.
Je ne peux pas dire que le salaire on s’en fout parce que clairement moi, j’aimerais bien gagner plus d’argent. C’est évident. Oui, je veux bien une revalorisation salariale, mais d’abord je veux que l’on soit plus nombreux. D’abord je veux avoir le temps. C’est con, hein ? Mais je veux juste avoir le temps. Je veux pouvoir faire mon boulot sans courir, sans sortir de la chambre en entendant « grommeler » et en sachant [que le patient] à une demande, une insécurité, quelque chose qui ne se passe pas bien…Je claque la porte quoi ! Et ça m’arrive tous les jours. Je sais très bien que ça aurait fait plaisir que je reste un quart d’heure à discuter. Parce que c’est super dur, que la maladie se complique, parce que cela fait un mois que [cette personne] est hospitalisée, qu’elle ne voit pas le bout et qu’elle marche de moins en moins bien. Elle est en détresse totale. Il n’y a pas le temps pour ça. Et ça, c’est la violence du capitalisme. L’humanité est complètement biffée.
L’idée de la santé en lutte est de pouvoir rassembler sur des revendications, mais aussi de manière large et la conscience politique elle n’est pas pareille pour tout le monde.
Dans les médias pavanent les directions hospitalières en disant main sur le coeur : « Nous sommes avec vous. » Mais ils sont responsables de nos conditions de travail. Ils sont « main sur le coeur » avec nous parce qu’ils veulent aussi plus de financement mais pour faire tourner leur hôpital. Le contexte français n’est pas pareil qu’en Belgique, car en France tous les hôpitaux sont publics et les mesures budgétaires touchent les médecins également. Nous, on est avec une composante du privé assez importante où encore une fois, on peut facilement aller dans un autre hôpital chercher un salaire plus gros.
On n’est pas dupes en tant que travailleurs. Je pense qu’il y a encore une partie de la population qui est dupe, mais c’est parce qu’elle n’a pas l’information. Les directions hospitalières ne soutiennent pas. C’est évident.
Oui, on a un travail de mobilisation à faire. Toutes les forces sont les bienvenues pour faire ce travail-là. Il faut aller dans les unités, il faut mettre au courant. On ne doit pas compter sur les directions hospitalières pour annoncer une grève. Au contraire, ils vont la minimiser. Ils font des circulaires en interne en disant : « Tout roule très bien chez nous. Ne vous inquiétez pas, etc. » Ils essayent de communiquer ça dans les médias. Je connais un directeur d’hôpital qui a été lors des « mardis des blouses blanches » dans les hôpitaux dire : « Oui, certes, il y a des mouvements sociaux dans tel ou tel hôpital, mais mon hôpital n’est pas concerné. » C’est aussi une histoire d’images. Aujourd’hui, c’est la chasse à la patientèle. Il faut remplir les hôpitaux, il faut prendre les patients des autres hôpitaux.
Du coup, comment va-t-on chercher les patients dans les autres hôpitaux ? Ben on dit : « Chez nous, on est très bien soigné. Il n’y a pas de mouvements de grogne. Les travailleurs sont très contents. D’ailleurs on a un pôle de chirurgie cardiaque qui est extraordinaire. On va ouvrir un nouveau centre d’oncologie qui va pouvoir concurrencer la référence à Bordet…»
ORGANISATION : ACTION ET RECHERCHE CULTURELLES – PHOTO : COLLECTIF KRASNYI
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