« IL Y A PLUS DE VIRUS SUR UNE BARRE DE TRANSPORTS EN COMMUN QUE SUR LE SOL DES CHIOTTES DE MON RESTAURANT. C’EST ÇA QUI ME REND DINGUE. »

Mon frère et moi-même sommes indépendants depuis 4 ans dans le secteur non essentiel de l’horeca. On fait des burgers qui fonctionnent bien, très bien et on a dû fermer suite à la crise sanitaire. Ordre d’État. Non, sans une once de tristesse et maintenant en plus de l’incompréhension à tout ce qui se passe et ne se passe pas surtout. Parce qu’on est dans l’interrogation totale de savoir quand on va pouvoir réexercer, quand on va pouvoir recommencer à vivre en fait. Tout simplement. À rebosser. À faire ce que l’on aimait.

Je suis dans l’horeca aussi, mais en tant qu’ouvrier. Je me retrouve aussi malheureusement sans emploi et maintenant sans avenir.

Je travaille dans le milieu du spectacle. Mon entreprise est numéro 1 en Europe dans ce domaine. Moi, je m’occupe des clients francophones. Donc, évidemment le spectacle il est complètement à l’arrêt donc, c’est sûr que nous aussi on est non-essentiel. Je ne suis pas certain qu’être « non essentiel » dans le secteur fasse en sorte que les gens aillent mieux de manière psychologique.

Je n’imagine pas que l’on puisse faire un grand concert où des choses comme ça, mais je pense que les cinémas, les théâtres pourraient quand même ouvrir quoi. Quand je vois les files dans les aéroports, quand je vois les files dans la rue Neuve, quand je vois les files dans les magasins, je me dis que les salles de spectacle où on ne bouge pas, où on est assis où il y a des mesures de sécurité et de l’espace entre tout le monde, je ne vois vraiment pas où est le problème même si je n’ai aucune qualification. Je ne suis pas médecin encore moins virologue, mais il y a quand même des inepties.

En plus de ça, personne ne nous explique le problème. Il n’y a pas de données scientifiques qui nous disent que dans un cinéma quand c’est bien espacé, ventilé pourquoi ça ne marcherait pas alors qu’on laisse les gens voyager dans les avions. Ok, dans les avions, il y a des filtres pour l’air, mais il y a plein de salles de cinéma qui avaient déjà ça, il y en a d’autres qui ont investi en espérant pouvoir rouvrir et personne ne parle de ça. Tout le monde s’en fout.

Les magasins, les grandes chaînes n’ont jamais gagné autant d’argent que maintenant. Je parle de l’alimentaire. Mais tous les autres – les restaurants comme nous, le spectacle comme nous et les gens employés dans l’horeca – ce n’est pas avec un salaire à 70 % qu’on arrive à vivre. Et encore 70 % de quoi ? On a un « droit passerelle » et il est brut. On va être taxé sur 1235 euros que l’on reçoit par mois. Moi, j’ai un seul crédit dans ma vie à 1050 euros. Je fais comment pour vivre avec mes 1235 euros ?

Voilà, c’est ça, nous sommes des non essentiels et l’État se gausse de pouvoir dire : « On vous donne des primes, on vous donne de quoi vivre…  » Mais c’est faux. C’est complètement faux. Et encore, nous ici autour de la table, on est des privilégiés. Je connais des tas de gens qui sont dans la mouise complète. Je viens de voir le dépanneur charismatique d’Auderghem présent depuis 40 ans. Ce monsieur a toujours été indépendant et bien maintenant il est au CPAS. C’est dramatique.

Lui, ce n’est pas un secteur non essentiel. Ce n’est pas ça. Il peut travailler, mais rien que l’atmosphère qu’on nous impose, l’atmosphère qu’il y a dans la vie globalement fait que même des contrats comme ça deviennent précaires.

Moi, je suis employé dans un bar. Depuis, le confinement, mes patrons ont fait faillite. Je suis au chômage total sans emploi maintenant du coup. Je ne sais pas comment je vais faire pour trouver du boulot même si ça rouvre. Je ne sais pas comment ça va se passer. Il y a tellement de faillites. Il va y en avoir tellement donc, il va y avoir peu de postes évidemment. Il va y avoir énormément de monde sur le marché de l’emploi. J’ai presque 40 ans aussi. Ils vont prendre des gens plus jeunes. Je le vis assez mal. Il y a beaucoup de flous dans mon avenir.

À part, croiser les doigts, on ne sait plus rien faire. Attendre que le gouvernement se décide à faire des choses intelligentes. Voilà.

Je n’arrive pas à comprendre comment on a pu se laisser faire – je parle pour moi aussi, car j’en fais partie – , comment on n’intervient pas, comment l’État ne se rend pas compte qu’il est temps de prendre des décisions fortes.

Comme on n’a pas de perspectives claires d’ouverture, comme on n’a pas d’explications claires de fermeture, tout le monde est dans le flou. Et quand on est dans le flou, ça laisse partir l’esprit dans tous les sens.

C’est une camisole psychologique. On est vraiment dans ce « trip  » pour le moment.

On commence à grogner de plus en plus, car il n’y a aucune étude qui démontre que nos secteurs d’activités favorisent la propagation du virus.

Il y a plus de virus sur une barre de transports en commun que sur le sol des chiottes de mon restaurant. C’est ça qui me rend dingue.

On ne peut pas en vouloir à son voisin. On en veut directement parce que les réseaux sociaux font en sorte, mais il y a quand même des autorités au-dessus qui auraient pu gérer le truc en bloc.

Le problème ce sont les incohérences, les détails, l’absence de données scientifiques qui permettent de montrer que certains commerces, certaines exploitations, certaines manières de vivre sont non essentielles.

ANTHONY, JÉROME, PATRICIO ET MARC

PHOTO : RESTAURANT LE SAINT PAUL À AUDERGHEM À BRUXELLES DÉBUT D’APRÈ-MIDI – JANVIER 2021.