RACONTER LE PASSÉ SURTOUT S’IL EST OCCULTÉ POUR MIEUX COMPRENDRE LE PRÉSENT. « PARIS, LE 17 OCTOBRE 196I – ICI, ON NOIE LES ALGÉRIENS. » (PARTIE 1)

D’abord, je tiens à saluer le fait qu’à Bruxelles – enfin à St.Gilles – il y ait cette initiative parce qu’après tout on pourrait dire que ça se passe en France et en quoi ça nous concerne ?

En fait, ça nous concerne parce que le 17 octobre 1961 nous indique en réalité les effets sur les peuples des pays colonisateurs de la colonisation. Et en ce sens, même si c’est en France que ça se déroule, des leçons sont à tirer dans l’ensemble des pays qui ont été colonisateurs. Prendre la mesure du 17 octobre 1961 c’est d’abord rappeler ses principales caractéristiques. Celles-ci suffisent à indiquer l’importance énorme du combat pour que ce massacre soit reconnu comme massacre d’État. Mais comme nous sommes en Belgique, la même importance est à accorder aux massacres de l’État belge fait dans d’autres contrées et en particulier au Congo.

Rappelons ses caractéristiques : je voudrais les résumer en quatre points. – Un massacre d’État avec non pas des dizaines, mais plusieurs centaines d’Algériens. C’est aujourd’hui documenté et prouvé. – Des rafles massives au faciès mobilisant des bus de la RATP. Tout le réseau d’autobus publics de Paris est mobilisé pour ces rafles au faciès. Plus de 13 000 personnes sont raflées. – Une occultation massive gouvernementale puisqu’officiellement au lendemain du 17 octobre 1961, on annonce 2 morts simplement. Et quatrième élément, une occultation massive à gauche après les premières déclarations dénonçant les violences policières. Le silence de plomb retombe jusqu’aux années 1980 et 1990 où il aura fallu des militants eux-mêmes issus de l’immigration dont les parents étaient ceux qui avaient manifesté pour que cette question revienne à l’ordre du jour.

Ces quatre caractéristiques suffisent à faire du 17 octobre 1961 un analyseur non pas simplement de la violence de l’État français, non pas simplement de la colonie française, mais un analyseur des effets de la colonisation sur les pays qui ont été colonisateurs. Et c’est en ce sens qu’il faut prendre l’importance des commémorations parce que malheureusement ça agit encore dans le présent.

Alors le contexte. On est en 1961. Nous sommes dans un passage du colonialisme au néocolonialisme.

Pour bien saisir l’enjeu de cette période, il faut avoir en tête le séisme qu’a constitué la Seconde Guerre mondiale. Du côté des dominants comme des dominés la Seconde Guerre mondiale – la victoire contre le nazisme – est venue bousculer l’ensemble des rapports de force.

L’après-Seconde Guerre mondiale se caractérise par un réveil des peuples colonisés. Ces peuples n’ont bien entendu jamais cessé leur résistance depuis la première capture d’esclaves jusqu’à aujourd’hui. Mais il aura fallu une rencontre avec ces résistances et un nouveau contexte historique pour que s’accélère l’histoire. La Seconde Guerre mondiale ne crée donc pas la résistance contre l’esclavage et la colonisation, mais augmente l’offensive de ces résistances.

Du côté des peuples colonisés, la Seconde Guerre mondiale c’est la fin du mythe de l’invincibilité de l’homme Blanc. C’est le déploiement par les puissances coloniales d’un discours en termes de luttes contre l’occupation. Ceux qui colonisaient viennent tenir le même discours contre Hitler que ce que reprochaient les militants indépendantistes. Donc, on a un discours contre l’oppression. Un discours sur la nécessité de la lutte de libération nationale. Un discours de prendre les armes contre l’occupant. Un discours qui dénonce le racisme nazi. Un discours contre la hiérarchisation de l’humanité en supérieur et inférieur.

Les peuples colonisés entendent cela et se disent, mais ça nous concerne aussi. C’est exactement ce que nous subissons.

Du côté des États colonisateurs – à part l’Angleterre – nous avons un affaiblissement de tous les États colonisateurs. Tout simplement parce que les classes dominantes ont massivement collaboré avec les nazis. Les classes dominantes de Belgique, de France, etc., ont collaboré avec le nazisme. Du côté des rapports de force mondiaux, c’est le prestige d’abord pour l’URSS qui a supporté le poids essentiel du combat antinazi et pour les USA qui n’ont pas connu la guerre sur leurs territoires. Ces deux puissances pour des raisons différentes vont développer un discours anticolonial. L’URSS pour des raisons idéologiques liées à son discours sur la révolution mondiale et les USA tout simplement parce qu’ils lorgnent vers les colonies de leur concurrent puisqu’ils n’ont eux-mêmes pas de colonie.

Quelle va être la réaction des anciennes puissances coloniales ? Rétablir à tout prix l’Empire. La préoccupation de De Gaulle en 1945 c’est de rétablir à tout prix l’Empire, quel que soit le coût, quelles que soient les méthodes. La conférence de Brazzaville en 1944 que réunit de Gaulle est très explicite là-dessus. La conclusion de cette conférence – qui est censée normalement apporter en quoi le combat antinazi va changer le rapport entre métropole et colonie – la conclusion est que l’idée d’une autonomie – je ne parle même pas d’indépendance – est inimaginable même à long terme. C’est la conclusion officielle.

KHADIJA SENHADJI, SAÏD BOUAMAMA ET MANU SCORDIA

ORGANISATION LE COLLECTIF KRASNY DANS LE CADRE DE L’EXPOSITION : « PARIS, OCTOBRE 61 – ICI, ON NOIE LES ALGÉRIENS. »

COLLABORATION AVEC ZIN TV EN PLUS IL Y A LA VIDÉO ICI : https://zintv.org/video/retour-sur-un-massacre-occulte/

ILLUSTRATION DE L’EXPOSITION : LE MASSACRE DE 1961 À PARIS – AUTEURS : KARIM, MANU, TIBO – 60 ANS APRÈS LES FAITS – 2021 –

http://www.krasnyicollective.com/