LES ÉDITIONS LA LENTEUR.

On est une petite maison d’édition créée en 2006-2007 dont je suis un des animateurs. Seulement un des animateurs avec Nicolas Eyguesier notamment.

Le projet de créer une maison d’édition nous est venu, disons au milieu des années 2000 dans un contexte politique qui était celui – on était après les arrachages d’OGM – des campagnes contre les OGM qui nous avait beaucoup marqué Nicolas et moi. On était à la fin de ce qu’on a appelé le mouvement altermondialiste. On était avec un réveil de luttes étudiantes ou lycéennes. On se souvient du mouvement contre le CPE (Convention de Premier Emploi) en France donc la précarisation de l’emploi. Des dispositifs favorables aux entreprises pour sous-payer les gens et ne pas les garder. Voilà.

Et dans ce contexte, on a estimé que c’était important, intéressant d’avoir un outil d’édition autonome. De le construire. On savait qu’on n’allait pas le construire du jour au lendemain. On sentait bien que le type de révolution, de changements de société, de bifurcation à laquelle on aspire n’allait pas venir de suite sauf évènements très imprévus. En créant une maison d’édition, on se plaçait effectivement dans le moyen terme voire le long terme. C’est-à-dire l’idée qu’il y a vraiment des idées à diffuser, des débats à ouvrir ou à rouvrir. Des textes à ramener à la surface.

Nous, on est des gens qui estiment que des choses importantes ont déjà été dites politiquement. Que le problème n’est pas de dire des choses supplémentaires, mais qu’elles puissent être entendues. Qu’elles puissent être saisies, digérées, créer du nouveau par des individus, par des sociétés, des communautés, des groupes qui se mettent en mouvement.

À partir de là, on publie peu parce qu’on ne vise pas du tout un projet – même si ça pourrait arriver – d’une grosse maison d’édition qui se met à publier à tour de bras 20, 50, 100 livres par an. Ce n’est absolument pas notre optique. D’abord, parce qu’on estime que ce n’est pas possible de faire soigneusement le travail dans ces cas-là, que ça fait épouser le mouvement, la vitesse infernale du monde où on vit. Il n’y a pas besoin de publier 50 livres par an parce que les choses importantes politiquement sur l’état de la civilisation moderne, ses impasses, elles ont été dites par contre elles n’ont pas été entendues. Elles n’ont pas provoqué des bouleversements dans le bon sens et pour nous il s’agit de faire un travail de fond. De soigner le propos. De soigner l’objet et de trouver des modes de diffusion qui puissent faire que des idées qui ont été oubliées, de constats laissés de côté à un moment émergent comme quelque chose d’important qui peut nous aider à nous orienter dans une situation historique qui est de plus en plus terrible.

Le but de départ c’est bien d’avoir un outil pour éditer nos propres écrits. Pour avoir une vraie liberté de ton et une liberté de contenus par rapport à des idées qui sont quand même hétérodoxes.

Alors sans doute aujourd’hui elles le deviennent un peu moins de par un certain nombre d’évolutions dans les esprits, dans la société. On met en musique une critique du progrès technologique. On met en musique l’idée d’un divorce de plus en plus profond – déjà ancien mais aujourd’hui extrême – entre le progrès technologique et le progrès humain, social. C’est-à-dire on essaye de faire entrer en jeu la conviction que le progrès technologique n’a en général pas été synonyme de progrès social jamais de manière mécanique et depuis quelque part entre la révolution industrielle et la Deuxième Guerre mondiale c’est systématiquement faux. Et aujourd’hui ça l’est de manière grossière et ça nous mène vraiment à un abîme écologique, humain, moral.

Des sociétés qui ne sont pas pleinement industrialisées et bien non ce n’est pas une bonne idée de chercher à les industrialiser et de réclamer aux institutions internationales des mesures qui iraient dans le sens de ce « développement » qui est justement pour moi le mot qui est colonial. C’est-à-dire que ce mot a été inventé par Harry Truman dans son discours de 1947 (président américain qui avait succédé à Roosevelt sous l’égide duquel a été lancée la bombe atomique sur Hiroshima et Nagasaki en août 1945) et dont la stratégie, disons de « containement » de l’Union soviétique reposait sur l’ « aide au développement ».  « Développer » à la fois certains pays d’Europe qui étaient jugés  « arriérés » comme les pays méditérranéens,   « développer » certains pays du tiers monde, certaines zones géographiques pour les arrimer au monde capitaliste et les fidéliser.

Ces des mouvements [altermondialistes] qui à juste titre défendent les acquis sociaux comme on dit. C’est-à-dire la possibilité qu’il y ait encore de la distribution sociale par des pensions de retraite, par une sécurité sociale mais qui les défendent au nom de la croissance économique avec l’idée qu’on peut garder tout ça parce qu’on va continuer d’avoir de la croissance , un développement industriel, un développement de l’emploi et donc, il n’y a pas de remise en cause du salariat et qui rend tout le monde dépendant d’un système infernal. Un système basé sur la prédation des ressources dans le tiers monde mais ici aussi avec des formes plus douces sous nos contrées mais très impressionnantes. Et donc, un système qui est indéfendable.

La manière dont les groupes de gauche, d’extrême gauche critiquent les réformes néolibérales et défendent l’état social avalisent ce mode de développement industriel.

Le fondement du capitalisme ce n’est pas seulement l’exploitation du travail et l’extraction du profit, ce n’est pas simplement l’aliénation dans la consommation, c’est le fait de nous soustraire les moyens de subsistance et d’autonomie. Le capitalisme est une machine à nous retirer de l’autonomie.

Dans un smartphone il y a plus de 60 métaux alors que dans un téléphone fixe, il y en a une dizaine. Les métaux il faut aller les chercher partout dans le monde dans des conditions de plus en plus difficiles parce qu’il y a une demande croissante. Donc, il faut de plus en plus d’énergies pour les extraire.

Très souvent on a ce symbole que pour faire des smartphones et des semi- conducteurs et des batteries de voitures électriques – au nom de la transition – on détruit les conditions de vie des dernières personnes , des derniers paysans ou primitifs ou arriérés (je n’ai pas de problème avec ce mot). C’est-à-dire des gens qui vivent réellement différemment de nous, qui ont réellement un lien à la nature. Un lien organique, quotidien. Qui vivent réellement dans un imaginaire et une texture de leur quotidien et de leur vie mentale différents et donc très souvent les projets miniers aux 4 coins du monde ont pour effet de chasser ces gens. De détruire leur cosmos local, leurs racines et la possibilité de maintenir un mode de vie à la fois concret tel qu’il existait jusque là.

C’est du baratin complet. C’est vraiment une imposture. La notion de transition énergétique et écologique est une imposture. C’est le déguisement d’un nouveau projet industriel qui va plus loin dans l’artificialisation de matières premières. Probablement qu’il n’y aura aucun effet de baisse de gaz réchauffant.

Nous, on est pour le progrès humain, pour le progrès social simplement on pense que c’est important de se rendre compte que le progrès technologique aujourd’hui va à l’encontre du progrès humain.

MATTHIEU AMIECH

ILLUSTRATION : LE LOGO DE LA MAISON D’ÉDITION LA LENTEUR. LES ÉDITIONS N’ONT PAS DE SITE INTERNET NI DE CATALOGUE EN LIGNE. TOUTEFOIS, VOICI UN LIEN : https://librairie-quilombo.org/La-Lenteur