« ÇA ME FAIT RIGOLER QUAND LES GENS DISENT : LES NOTIONS DE DROITE ET DE GAUCHE SONT DÉPASSÉES… »

Je ne sais pas si on change la société. J’espère un peu, mais je pense surtout qu’on empêche la société de sombrer encore plus dans ses travers. C’est-à-dire que le non-marchand – j’englobe aussi l’enseignement, le socio-cul et tout ça – lance des signaux d’alarme quand même importants. Ici, on a [eu] un gouvernement qui a totalement dépassé les bornes tout le temps. Mais je pense que sans les alertes qu’ont données beaucoup d’associations, etc., il [le gouvernement] aurait été plus loin.

Facebook est un fabuleux outil pour la mobilisation. Les migrants ne seraient pas logés, nourris comme ça, sans Facebook. Bêtement avec un groupe Facebook, il y a 600 migrants qui dorment à l’intérieur toutes les nuits. C’est quand même énorme. Sans Facebook, cela n’aurait jamais existé. Et, il n’y a pas que les migrants. DoucheFLUX [est un facilitateur de réinsertion pour les personnes en situation précaire, avec ou sans logement, avec ou sans papiers] a démarré sans locaux et en grande partie grâce au réseau social et des mobilisations. Les Afghans à l’église du Béguinage ont mobilisé énormément sur les réseaux sociaux. Il y a beaucoup de « merde » qui circule, mais aussi beaucoup d’informations. Moi, ça me permet aussi d’offrir un regard qui n’est peut-être pas éclairé, qui n’est peut-être pas le bon, mais en tous les cas, qui permet un autre regard sur l’actualité que nous offrent les médias. Je trouve ça super important. Et donc, pour moi, le réseau social est vraiment un outil fabuleux. Qui peut aussi être un outil dangereux, mais si on s’en sert bien, c’est parfait.

C’est aussi le lieu du harcèlement, le lieu des fake-news où le politique apparaît tout à coup 3 mois avant les élections. C’est aussi en soi, des outils du capitalisme. Ne fut-ce que déjà d’y être, on en est un produit. Mais alors si on ne s’en protège pas au minimum, si on publie des choses sur internet sans réfléchir… Il faut quand même être vigilant, mais c’est comme l’être humain en fait. On peut faire le pire et le meilleur et tout est un peu exacerbé, mais ça peut être très positif.

On nous dit de plus en plus comment on doit vivre. Par exemple : on légifère sur tout. On nous dit comment on doit penser. Les journaux nous servent des communiqués de presse sans – pour la plupart – une critique derrière un propos…Oui, en effet, on pense pour nous. On nous dicte comment on doit vivre et surtout, on ne doit pas critiquer. On le voit bien en France. On le voit bien en Belgique. Ceux qui pensent trop, ils sont dans le collimateur.

Je suis de gauche totalement. Ça me fait un peu rigoler quand les gens disent : « Les notions de droite et gauche sont dépassées. » Souvent les gens qui disent ça, c’est surtout des gens qui n’assument pas d’être de droite.

Je ne considère pas que le PS soit de gauche par exemple. Je me sens socialiste fondamentalement. Je retrouve plus le PS comme je le voudrais dans le PTB. Je me situe politiquement – peut-être je suis dans l’erreur à mon niveau de connaissances – entre Ecolo et PTB. Mais je trouve qu’Ecolo est de moins en moins de gauche en fait. Pour moi, sur certaines questions, il [Ecolo] est de gauche. Par exemple pour ce qui est de la défense des migrants, depuis toujours ils sont de gauche, clairement. Pour ce qui est économique, je les trouve un peu trop capitalistes. Ils veulent trop que les choses fonctionnent dans le système sans le remettre en question. J’ai énormément d’ami.e.s chez Ecolo et énormément d’ami.e.s au PTB. Mon seul regret est que ces deux-là n’arriveront jamais à s’entendre. Parce que des deux côtés, il y a des boutons qui poussent dès que tu évoques l’autre. Ce sont des désaccords fondamentaux. C’est même devenu ridicule et viscéral chez certains…

Je suis une grande défenderesse des Gilets Jaunes…

Je pense qu’il y a une question de « pré carré » . Ils nous « volent » notre combat, un truc comme ça. J’ai remarqué ça très fort dans toutes les mobilisations citoyennes. Il y a énormément de ça. Tout le temps. Et dans le travail social souvent aussi. C’est « nos pauvres » . « Notre » cause. Et on le voit aussi dans les asbl… Nous , on est fans de partenariats, mais ce n’est pas toujours facile d’en faire…

En tous les cas , ce n’est pas encore assez la merde pour «  nous » . Nous : c’est ceux qui ont des papiers, un logement, qui n’ont pas leur vie en danger. Mais, on a chez nous, des gens qui sont de plus en plus en danger. Et ce qui se passe sur la plate-forme des migrants est juste magnifique. On a des gens qui logent des [autres] gens et qui sont dans des mondes extrêmement différents, quelles que soient les convictions politiques. Ici, on est en dehors de toutes particraties. Il y a des gens au MR qui hébergent des migrants. Il y a un travail d’autoéducation permanente qui se fait. Ce n’est pas que des rencontres bisounours avec des petits coeurs et des paillettes. C’est aussi des réflexions politiques qui se disent : « Mais bordel, pourquoi dois-je faire ça ? » Ce n’est pas normal, que je doive faire ça ? Ce n’est pas normal que je doive loger des gens chez moi. Il faut que l’État fasse son boulot. Qu’il les accueille.

T’accueilles quelqu’un chez toi et tu te rends compte qu’il n’est pas dangereux…donc, ça t’ouvre les yeux sur l’altérité on va dire. Ça te montre que ce n’est quand même pas compliqué de secourir les gens. Ça t’a coûté du thé, du sucre. Peut-être à bouffer (si tu as le temps), un peu d’eau, d’électricité et du wifi. Tu as aidé quelqu’un. En fait, l’État a largement les moyens de faire ça pour 600 personnes. La plate-forme a ouvert énormément les esprits.

On se retrouve avec une Europe qui laisse des bateaux avec des personnes dedans et y crever littéralement.

Ce qui est marrant c’est qu’autant entre associations ou entre Gilets Jaunes ou pas Gilets Jaunes, on se tape un peu virtuellement sur la gueule, autant tu vois, tous ces gens-là, hébergent ou aident à héberger. Je pense qu’ils n’en ont pas toujours conscience. Ils sont tous dans la même cause en l’occurrence au Parc-Maximilien. Les gens qui hébergent ou qui aident à héberger sont des Gilets Jaunes. Des gens de Vie Féminine, du PS, du MR, du PTB. Il ya des gens qui ne sont rien du tout, [je veux dire] qui ne sont pas identifiés politiquement, ni associativement. Il y a des policiers. Il y a des politiques. Il y a de tout. Tous ces gens officiellement qui ne sont pas d’accord sur leurs combats respectifs mènent le même combat. C’est très bien. Il faut que la conscience de ça, monte, monte monte !

ANNE LÖWENTHAL – https://arc-culture.be