COMMENT ARRIVE-T-ON À RESTER LUCIDE, À RESTER CALME ? C’EST UNE VÉRITABLE QUESTION ÇA. QUAND IL Y A UN ÉTAT QUI EST RACISTE, VIOLENT, INJUSTE. QUAND VOUS N’EXISTEZ PAS POUR LUI. COMMENT FAIT-ON POUR VIVRE ? (PARTIE 2 ET FIN)

Ce ne sont pas tous les mariages concernés par cette politique. Ce sont les mariages où on va avoir un couple dont un est sans-papiers. Et le plus souvent, le sans-papiers est une personne étrangère. Quand je dis « étrangère » ce n’est pas l’étranger qui vient d’Europe. Non. C’est l’étranger qui vient d’un autre continent et le plus souvent d’Afrique…

L’État a une vision criminelle de l’étranger et tout ce que l’étranger va faire.

Le racisme c’est un comportement de rejet. [Si]Tu participes à un système qui est raciste cela fait de toi, quelqu’un qui est raciste. Ce n’est pas parce que tu as des origines marocaines que tu ne peux pas être raciste. Non. À partir du moment où tu aides cette machine répressive à bien s’établir et que tu y contribues : tu es raciste.

J’ai habité au Petit-Château pendant longtemps. Quand j’ai fait ma demande d’asile et que j’ai pris mon « annexe 26 » et que l’on m’a donné un document A 4 sur lequel il y avait ma photo (bon, je ne vais pas rentrer dans les détails) où il était marqué : « Loi de 1981 sur l’éloignement des étrangers » [oui], c’était bien le mot qui était inscrit dessus « l’éloignement des étrangers ». Je ne suis pas juriste, mais ce paragraphe-là, c’est une phrase qui m’est resté gravée dans les yeux. La loi sur « l ‘éloignement des étrangers » aurait pu utiliser d’autres mots. La loi sur «  l’établissement des étrangers » par exemple. Mais, ils ont utilisé le mot « éloignement des étrangers » . Ça m’a dit : « Voilà, tu n’es pas le bienvenu ici. Il va falloir sortir tes griffes pour te faire de la place. » Je trouve que c’est discriminant. C’est un mot qui est fait pour préparer les gens à prendre la fuite. Cela veut tout simplement dire que les étrangers ne sont pas les bienvenus dans ce pays. Point.

L’État a besoin du sans-papiers. L’État fabrique le sans-papiers.

Ça fait 25 ans que je vis en Belgique. On me demande un acte de naissance. Je suis née au Congo. Et donc, dans ma tête, je me suis dit : « Ok, on vient de me renvoyer le fait que je suis une belge de seconde zone. Ce qu’une « belgo-belge » peut faire à la minute, moi, il m’a fallu 3 mois. »  3 mois pour avoir rien que mon acte de naissance. Toute la procédure m’a coûté. Heureusement ou malheureusement, je travaille. Mais toutes ces personnes « sans-papiers » qui ne travaillent pas. Qui n’ont pas le droit de travailler. L’État sait ce qu’il fait. Et ce qu’il veut est : que les sans-papiers sentent qu’ils ne sont pas les bienvenus ici. En gros, à la commune, il pourrait juste mettre une pancarte qui dit : « Vous êtes belges, ne tombez pas amoureux d’un étranger. Ça ne sert à rien. On va vous mettre des bâtons dans les roues. »

Devant tout cet appareil répressif que représente l’État, moi, je pense que l’on développe une certaine haine. Une certaine révolte. À l’intérieur ça bouillonne et ça demande beaucoup d’énergies pour rester calme. J’espère tout simplement qu’on aura assez de forces – les autres comme moi – , j’espère qu’on aura assez de forces pour rester calme le plus longtemps possible.

C’est de la barbarie subtile. Ce ne sont pas toutes des violences visibles à l’oeil nu. C’est comme « tué dans l’oeuf »  ou « tué à petit feu ». Ce n’est pas la même chose. Il y a des gens qui sont prêts à accepter de mourir de façon effroyable. – Vous ne comprenez pas ce que je veux dire ? Mon grand-père me disait : « Mieux vaut une fin effroyable qu’un effroi sans fin. » Ce n’est pas la même chose.

J’aimerais que toute cette rage et cette indignation prennent de l’ampleur de la part des personnes qui ne sont pas directement touchées par ces situations. Cela peut arriver à tout le monde de tomber amoureux ou amoureuse d’un « sans-papiers ». Et vous verrez tout de suite l’absurdité, la violence de ce système. Je pense toujours qu’une limitation d’un droit sur quelqu’un est la limitation des droits sur tout le monde. Il faut juste attendre que ça [tombe]…

BRIGITTE GAIFFE, NICHA MBULI, MILENA PATUELLI, FRANCESCA PITTONI, AMAL ET ABDOULAYE – https://amoureuxvospapiers.org –amoureuxvospapiers.be