QUAND DES ROMS PARLENT DES ROMS. DÉCONSTRUIRE, DÉGOMMER LES STÉRÉOTYPES…

C’est un sujet dont on parle très peu.

La question Rom est complètement invisibilisée alors qu’on est dans des situations d’apartheids aujourd’hui à travers toute l’Europe quasiment. Le retour des pogroms…il y a encore quelques jours à Lille, un campement Rom a été incendié de façon criminelle par des groupuscules racistes qui mènent ce genre d’opération qui s’apparente véritablement à des pogroms. Donc, je pense que c’est très grave ce qui est en train de se passer aujourd’jui dans toute l’Europe et qu’il faut absolument en parler. Il faut briser le silence par rapport à ça.

J’ai choisi le quartier des Marolles parce que je suis originaire de ce quartier. C’est un quartier où il y a eu beaucoup de Manouches qui ce sont sédentarisés après la guerre 1940-45 et notamment autour de la brocante de la ferraille avec les métiers qui étaient liés à la communauté. Mais avant eux, il y avait déjà eux des Roms des Balkans ou de Hongrie également qui s’étaient installés dans le quartier il y a de ça, plus ou moins 150 ans. Il y a eu finalement pas mal de mélanges dans ce quartier entre les différentes communautés. Y compris avec les Bruxellois installés dans ce quartier qui étaient eux-mêmes brocanteurs-ferrailleurs et se retrouvaient dans des métiers et modes de vie assez proches et populaires.

Je suis originaire de ce quartier. J’ai moi-même dans mes ancêtres des personnes avec des origines Roms des Balkans. Je n’ai pas grandi dans cette culture. J’ai grandi dans une culture bruxelloise, mais en tous les cas, je viens de cette histoire de créolité. J’ai conscience de ma créolité tout simplement. Oui, je suis sensible à cette question. Ma famille quand elle avait son bar dans les Marolles en faisait le QG de la communauté Manouche.

En tant que musicien, je joue en Belgique avec la famille Becker qui est une famille d’origine Manouche. Depuis plus de 15 ans, on joue ensemble. Même eux ils sont invisibilisés en tant que musicien.

On a souvent le cliché que soit le Rom : il est mendiant, soit il est mafieux, soit il est musicien. Moi, j’ai envie de dire que les musiciens Manouches ont plus de mal à jouer dans ce pays parce que les réseaux restent blancs et bourgeois. Il faut aussi le dire cette parole que même les musiciens Manouches sont invisibilisés aujourd’hui en Belgique.

Je suis Rom d’origine ethnique de la Macédoine à la base. Je suis née là-bas. Je suis arrivée en Belgique jeune enfant.

Pourquoi je suis engagée aussi fort ? La question Rom au sein de notre communauté c’est une question centrale qui est très, très souvent discutée. Quelle est notre place dans les sociétés ? Pourquoi a-t-on une si mauvaise image [des Roms] ? Qu’est-ce que l’on peut faire pour améliorer cette image ? Qui sommes-nous en réalité aussi ? Tout ça , m’a amené à être plus active en Belgique sur ce qui se faisait. Qui s’occupe réellement des questions des Roms ? Qui fait quoi, ici en Belgique ?

La grande majorité des gens issus de la communauté, de la grande communauté Rom – parce que voilà, il y a énormément de communautés Roms mais de manière générale, je dirais « la communauté Rom » – il y a énormément de frustrations qui ne sont jamais discutées. Pourquoi ? Parce que la grande majorité reste silencieuse.

J’ai remarqué qu’il y avait une différence de traitement entre ce que je subissais et les autres enfants. Pas du tout le même. En commençant par des mots péjoratifs qui sont très spécifiques concernant les Tsiganes, les Roms. Jusqu’à des attitudes ou des gens un peu plus subtils jugent mes erreurs avec hargne…

Dans mon statut social et professionnel, je cache mes origines. Pourquoi ? Parce qu’à un moment donné, j’en avais marre de gaspiller mon temps et mon énergie à démonter des clichés bien enracinés dans l’imaginaire collectif et qui sont d’ailleurs véhiculés dans tous les sens avec plus ou moins de subtilités.

Les Roms sont des fantômes parmi les fantômes. La minorité parmi les minorités.

On n’a pas le choix. On est enfermé dans mafieux, mendiants ou artistes. L’artiste c’est le cliché exotique, le mafieux c’est la haine Romophobe. Même le cliché exotique, il faut s’en méfier. Franz Fanon a dit : « Je me méfie autant de ceux qui admirent les Noirs que ceux qui les détestent. »

C’est important de donner la parole aux personnes concernées. Pas tout le temps à des experts, pas tout le temps à des chroniqueurs. Non, Non. C’est important d’entendre les gens. Les gens construisent une intelligence sur base de leur histoire. Et ça, c’est aussi quelque chose que l’on oublie en Occident parce qu’on est complètement perdu dans une espèce de savoir institutionnalisé qui créche là-bas dans des bâtiments… On n’écoute plus la parole populaire.

Par rapport à l’impact des médias, il y a une méconnaissance des communautés Roms de manière générale et j’ai presque envie de dire – mais ce sont des propos qui ne tiennent qu’à moi – à tous les niveaux de l’échelle sociale parce qu’il y a un désintérêt. C’est ce que je ressens par rapport aux communautés Roms. On n’a pas envie de s’intéresser à eux. Ils n’existent pas. Ils existent en tant qu’être « malfaisant » , « malveillant » , « ne voulant pas s’insérer dans la société » , etc.

Si vous dites que vous êtes Roms, est-ce que vous allez avoir la chance de pouvoir obtenir un emploi ? Quel est l’impact réellement ? Et cet impact-là, c’est par les médias qu’il passe. Parce que les gens qui ne sont pas en contact direct avec les communautés Roms ce qu’ils vont voir c’est leur journal et les informations qui passent sur les réseaux sociaux, etc. Tout ça, il faut tenter de contribuer à changer cette image.

Moi [par contre] est-ce que j’ai vraiment envie de prouver que je suis quelqu’un de « bien » ? Est-ce que je dois me sentir obligée ? Je ne me sens pas du tout obligée. Je dois vous dire très sincèrement que j’aie envie de mépriser ce genre de mentalités qui m’obligent à prouver que je suis quelqu’un de « bien ». Que l’on soit dans des clichés négatifs ou positifs personnellement ça me passe par-dessus la tête.

J’ai essayé d’approcher des associations, des militants si vous voulez qui s’exprime dans l’espace public sur le sujet des Roms. J’ai essayé de rentrer en communication avec eux d’une manière intellectuellement honnête et sincère, mais ça n’a pas pris. Je me suis rendue compte au fur et à mesure de mes analyses qu’une situation très ambiguë est créée sciemment par certains qui veulent exploiter la misère des Roms pour recevoir des subsides. Ils ont leurs petits discours ou le mot « Romophobie » est sorti deux, trois fois dans une de leur publication. Ça sert toujours au même objectif, c’est-à-dire des « images marketings de la diversité ».

Ce n’est pas possible que des gens vivent comme ça. Nous n’avons pas besoin de travailleurs sociaux pour travailler avec ces gens. Ces gens doivent sortir de ces campements. Ce n’est pas possible. La société sédentaire dominante doit donner une place digne à ces communautés. Ils sont Européens. Moi, je suis pour l’ouverture des frontières, mais si je réfléchis dans le cadre que l’on m’impose, c’est une situation complètement dingue en fait si on réfléchit bien. Parce qu’ils sont Européens et ils ne reçoivent pas de permis de séjour et ils sont exclus de tout. Je reviens sur cette image du fantôme à un moment donné, il va falloir que l’on comprenne ça.

ELVIRA HASAN, MADAME LI ET MAROLITO

PHOTO : YVES LERESCHE