« C’EST-À-DIRE QUE NOTRE SOCIÉTÉ DÉMOCRATIQUE A MAINTENANT RÉUSSI À FAIRE CE QUE LA GESTAPO ET LA GUÉPÉOU ET AUTRES POLICES POLITIQUES ONT TOUJOURS RÊVÉ DE FAIRE ET N’ONT PAS PU FAIRE… » (PARTIE 2 ET FIN)

Adams Smith qui est considéré comme le père officiel du capitalisme a reconnu qu’il s’était largement inspiré de Mandeville en lissant le discours, en le rendant un peu plus chrétien pour qu’il soit acceptable. Dans ce discours la seule valeur qui compte finalement c’est la valeur monétaire. Le capital. Toutes les autres valeurs sont négligées. Ça a marché pendant trois siècles même si maintenant les limites semblent atteintes par l’exploitation de toutes les ressources terrestres. Au début vous avez dit que l’avenir c’était peut-être dans le convivialisme qui est justement anti-utilitariste. J’aimerais en savoir plus sur cette pensée positive.

Les convivialistes c’est un groupe d’intellos en France et puis ensuite ça s’est élargi. Et maintenant c’est en train de devenir une espèce d’internationale convivialiste. Le dernier livre qu’on a sorti : Second manifeste du convivialisme a été signé par 300 ou 400 penseurs de très haut vol ou dans les grands pays du monde et l’étape prochaine, c’est une internationale intellos. Ça veut dire qu’on ne veut pas se fonder en parti politique, mais en ressource pour pouvoir penser le monde et mettre ces ressources à disposition des gens qui veulent essayer de réfléchir, travailler, élaborer des stratégies pour essayer d’obvier au cours assez funeste qu’a pris le monde.

Il y a dans les principes du convivialisme cinq principes. Vous savez que dans les grands moments de drame, de crises de l’humanité comme par exemple la Seconde Guerre mondiale, un certain nombre d’esprits, de penseurs venant d’horizons divers ce sont posés des questions de recréer le monde sur des bases vivables et le principe qu’ils ont adopté c’est le principe d’égale dignité des êtres humains. C’était évidemment important à l’époque du nazisme et aussi du stalinisme puisqu’il n’y avait pas égale dignité pour les êtres humains, donc il fallait absolument reconstruire le monde et les institutions du monde dit libre sur le principe d’égale dignité des êtres humains.

Je pense que notre devoir d’intellos c’est aussi d’essayer de savoir comment reconstruire le monde aujourd’hui alors qu’il est en dévastation politique, financière, morale, écologique, etc., profond. On a essayé de mettre en place 5 principes.

Le premier principe c’est celui de commune humanité. C’est important pour des tas de raisons et notamment une qui se profile à l’horizon c’est la scission dans la commune humanité. Penser à ce qui pourrait arriver par exemple avec le transhumanisme. C’est une divergence dans l’humanité entre ceux qui seraient augmentés et les autres diminués du coup.

Le principe de commune socialité. Nous appartenons tous à des échanges qui doivent se faire à tous les niveaux et c’est notre principale richesse les échanges humains. Nous ne somme pas dans une commune socialité puisque comme je vous l’ai dit tout à l’heure : 8 ou 10 personnes dans le monde possèdent autant que 4 milliards d’individus. Donc, la commune socialité est rompue.

Le principe de commune naturalité ça veut dire que nous occupons notre place éminente évidemment en tant qu’humain dans le monde, mais nous seuls avons une responsabilité à l’égard de tout ce qui est de l’ordre du vivant. Nous avons une responsabilité absolument spéciale puisque nous avons la conscience qu’il faut garder tout ceci sinon on détruit le monde.

Le principe d’individuation c’est ce qu’a oublié le communisme, je crois. C’est là que le communisme s’est effondré parce qu’il fallait que l’individu la ferme pour que la chose collective triomphe. On sait où ça a mené. Ça a mené ces pays qui promettaient l’émancipation à de vastes prisons.

Et le cinquième principe c’est puisqu’il y a des individualités et qu’elles peuvent s’opposer sans se massacrer c’est trouver toute une série de modalités qui sont sociales, politiques, constitutionnelles dont on connait déjà un certain nombre. Par exemple la bicaméralité [est un système d’organisation politique qui divise le Parlement en deux chambres distinctes], la polysynodie [la séparation des pouvoirs] mais ça ne va pas assez loin. Ce sont des principes formels. Il faut aussi des principes beaucoup plus directs qui sont à réinventer dans le quotidien, dans le local, dans l’immédiat pour que les individus puissent s’affronter sans se massacrer. Ça fait partie d’une émulation qui est importante pour l’être humain…

DANY-ROBERT DUFOUR EN CONFÉRENCE ORGANISÉE PAR LE JOURNAL POUR – https://pour.press/

ILLUSTRATION : THE 1,000 EYES OF DR. MABUSE, FRITZ LANG,