« NOUS SOMMES TOUS KHALED SAÏD » APPEL À MANIFESTER LE 25 JANVIER 2011 PLACE TAHRIR EN ÉGYPTE !

Le seul truc qui me rassure un tout petit peu c’est que j’ai l’impression qu’aujourd’hui – ou alors c’est juste moi, mais je ne crois pas, je sens aussi ça avec les gens avec qui je cause même des gens qui ne sont pas engagés. J’allais dire de gauche, mais c’est con, je veux dire des gens qui ne sont pas impliqués sur ces questions-là qui commencent à douter. Le doute aujourd’hui est là quoi et ça c’est cool parce que si les gens remettent en cause l’autorité il y a une chance. Enfin, j’ai l’impression.

Je suis quand même un peu persuadée que ça va être bien pire avant d’aller mieux. Il faut que ça pète. Ça ne peut que péter. On ne peut pas continuer comme ça à un moment donné, ça va exploser.

Quand je suis rentrée en Belgique je suis intervenue dans des classes genre Molenbeek à la demande de potes profs pour parler de la révolution égyptienne. Et c’est revenu tout le temps, ils disaient : « Mais ce n’est pas vous qui avez fait les photos. Vous les avez prises sur Google. » Ils avaient tellement de mal à croire que quelqu’un qui avait été témoin en première ligne soit là devant eux. [Il faut savoir] qu’eux, on s’en fout. Tout le monde s’en fout. Ils ne sont pas représentés dans nos médias. On leur avait vendu cette histoire comme une énième propagande. C’était hyper interpellant. J’étais dans ma bulle là-bas en Égypte dans ma bulle de journaliste. Quel était le sens de tout ça ? Je me suis posée ces questions. D’un coup ça faisait : je sors de ma bulle et elle éclate.

Je me souviens d’avoir eu des discussions hyper violentes avec des potes journalistes avec qui j’avais étudié. « Ça va péter, vous ne vous rendez pas compte. Il faut prendre en compte tout le monde. On ne peut pas laisser toute une partie de la population de côté et faire semblant que tout va bien. Ça va nous péter à la gueule. » C’était avant les attentats.

Si on est plein à raconter les choses autrement, le monde change. Alors ça paraît utopiste, mais il faut bien un petit peu rêver pour se sauver. Je ne sais pas…

Ce qui m’attriste beaucoup dans le monde aujourd’hui c’est que l’on ne s’engueule jamais, putain ! Mais on a besoin de s’engueuler. C’est bien. On peut s’engueuler avec bienveillance et je suis sûre que nous deux on pourrait continuer et s’engueuler. On n’est pas en train de se dire de méchantes choses. Je me suis adoucie là-dessus ces dernières années, c’est que j’argumente toujours avec passion mes trucs. J’ai ce côté têtu et un peu bourrine, mais en même temps, j’entends ce que l’autre me dit. Et tous les jours ma position est revenue tu vois et je me déplace. C’est cool. J’ai l’impression d’être une meilleure personne un petit peu grâce aux autres et grâce au fait de ne pas être d’accord avec les autres. Mais alors si on ne peut plus s’engueuler, je perds ça. Donc, je revendique le droit à s’engueuler.

PAULINE BEUGNIES – LE LIEN D’UN DE SES DOCUMENTAIRES SHIFT EN ACCÈS LIBRE ICI – https://nosfuturs.net/le-travail-qui-vient.html#t::shift

PHOTO : AUTEURE PAULINE BEUGNIES. EN EGYPTE AU CAIRE EN 2011 EN PLEINE RÉVOLUTION.