« À QUI ON PARLE LÀ ? EST-CE QUE L’ON PARLE À UNE PETITE ÉLITE INTELLECTUELLE UNIVERSITAIRE ? EST-CE QUE L’ON PARLE ENTRE NOUS OU EST-CE QUE L’ON A EN TÊTE LA MASSE : LES INDIGÈNES DANS LEUR MAJORITÉ, DANS LEUR GLOBALITÉ ? C’EST UNE INTERROGATION PROPREMENT POLITIQUE…» (PARTIE 2 ET FIN)

Il faut se détendre et se permettre de penser. S’autoriser à penser ce qui nous traverse. Se mettre au jour. Ça, c’est un geste politique. C’est un acte de Barbarie et c’est en l’occurrence ça qui m’a amené à mon engagement. À partir de là, tout peut commencer. Un nouveau monde peu commencer. Je vais pouvoir enfin trouver un horizon salutaire véritable. Je vais enfin pouvoir sortir de l’impasse, de ce mauvais dilemme du monstre et de la larve. C’est le dilemme de la condition Barbare. C’est une formule d’Houria. Soit des monstres, soit des larves. Voilà ce que nous serions. Comment on sort de ce dilemme ?

Le racisme c’est d’abord une expérience sensible. C’est vrai que c’est comme ça qu’on le vit. C’est de cette manière que je voulais poser la question, la rétablir. C’est aussi pour ça que je passe par la littérature. La littérature permet ça. D’atteindre quelque chose qui n’est pas seulement de l’ordre de l’analyse. Ce n’est pas purement politique. Et ça touche aux émotions tout simplement. Je crois que c’est une manière efficace de raconter, de faire et donner à voir de manière plus incarnée ce que ça signifie très concrètement.

Mais moi ce que je sais c’est qu’en 15, 16, 17 ans, l’antiracisme politique – l’antiracisme politique – a fait d’énormes progrès en France. On a fait des pas de géant. Aujourd’hui c’est impossible pour quelqu’un de gauche et même pour nos adversaires politiques ou les grands médias de faire l’impasse sur les nouvelles formes de l’antiracisme.

L’antiracisme politique a tué l’ancienne forme – l’ancienne forme est morte – l’antiracisme moral celui des années 1970-1980. Celui qui est nouveau qui est l’antiracisme politique est en progression aujourd’hui et il a d’une certaine manière gagné la partie. C’est pour ça que l’on en parle beaucoup. Pour moi [s’adressant à la personne du public qui a posé la question], c’est plutôt une bonne chose. Ce n’est pas une mauvaise chose, mais en miroir de cet antiracisme il y a surtout le racisme. Donc, l’un n’existe pas sans l’autre. S’il y a de l’antiracisme et cette profusion de mots autour de cette lutte c’est que l’on vit un moment de grand racisme et de possible fascisme. Je ne vois pas comment échapper à ce vocabulaire dans le contexte où l’on vit. Le réel c’est celui-ci. C’est celui du possible fascisme. D’un fascisme qui vient et c’est celui d’un racisme qui est.

Le mot « Barbare » et le mot « Beauf » – de mon point de vue – c’est pire d’être un Beauf. Le mot Beauf est d’une violence et d’un mépris absolu. Nous ce que l’on a pu constater depuis que Louisa a sorti son livre c’est que des Blancs disent : « Bin, nous aussi on est des Barbares » et c’est des Beaufs qui le disent. Parce que c’est plus sexy d’être un Barbare que d’être un Beauf. Mais parce que l’on sait ce qu’il y a dans Beauf. Beauf c’est vraiment pas de culture, pas de langue, inculte,… Bigard … – en France c’est Bigard, je ne sais pas si tout le monder connaît Bigard ici ? – pas de religion, pas de foi. Le Beauf c’est celui qui a vraiment tout perdu et c’est celui que l’on pointe du doigt comme étant raciste parce que les élites françaises, elles se défaussent de leur propre racisme sur les Beaufs. C’est eux qui sont racistes ce n’est pas les élites. Et là, il y a quelque chose de l’ordre de la sous-traitance sur leur dos en fait et c’est terrible. Parce que d’une certaine manière et c’est ça que l’on est en train de vivre c’est qu’ils [les Beaufs] nous en veulent [les Barbares] à nous d’abord. Ça crée une situation où on va avoir du mal à se rencontrer. Cette question il faut la dénouer.

Il ne faut pas se cacher la vérité. Les Beaufs sont structurellement racistes et ils ont intérêt à l’être, ils ont intérêt à le rester. Mais mon point de vue c’est qu’ils le sont largement moins que ceux d’en haut. C’est-à-dire qu’il y a vraiment quelque chose qui se joue-là, mais parce que le racisme il est aussi très sophistiqué. Le racisme d’en haut est extrêmement sophistiqué. La question du consentement, elle est hyper importante – il se trouve que je fais un travail là-dessus – des Beaufs, des Blancs à cette aliénation culturelle, mais parce qu’à la place on leur a donné la blanchité.

RESTER BARBARE DE LOUISA YOUSFI AUX ÉDITIONS LA FABRIQUE + HOURIA BOUTELDJA + MOUHAD REGHIF + LA PAROLE AU PUBLIC

PHOTO : AUTEUR – LA LIBRAIRIE MÉTÉORES AU PIANOCKTAIL DANS LE QUARTIER DES MAROLLES À BRUXELLES – LE 28 MARS 2022 À 22H00 ET DES POUSSIÈRES –