EN MARCHE : HISTOIRE DE L’HOMME-MACHINE QU’IL FAUT VOIR COMME UN « COCHON SE MASTURBANT DANS UN TAS DE MERDE » POUR POUVOIR FAIRE ACTE DE RÉSISTANCE … (PARTIE 1)

Le contrôle des chômeurs a remplacé le pointage qui au fond était peut-être moins intrusif puisqu’on ne contrôlait pas le comportement des chômeurs mais on contrôlait le fait qu’ils soient bel et bien disponibles tous les jours. Le pointage était quotidien. Vous ne pouviez pas partir 3 jours. Donc, il y avait quand même des dispositifs importants.

Si on prend un peu de recul par rapport au rôle du chômage dans le marché de l’emploi et le rôle de la culpabilisation et le contrôle des chômeurs – l’expression vient de Marx – il disait que les chômeurs, c’était l’armée de réserve du capital. Ça veut dire que l’intérêt pour les employeurs d’avoir des chômeurs disponibles à l’emploi c’est d’éviter d’entrer dans des luttes un peu dures à propos de l’augmentation du salaire. Par exemple si vous avez des employés qui vous disent : « moi, si je ne reçois pas 5 % d’augmentation, je me casse. » Bon, quand vous êtes dans la Silicon Valley, bin vous allez sans doute payer les 5 % parce que des employés qui ont le niveau de compétences requises, etc., vous n’en trouvez pas facilement. Quand vous êtes une boîte de Titres-Services, vous pouvez très facilement dire : « ben, il y a 20 personnes qui sont prêtes à prendre ton boulot, n’hésite pas, casse-toi. » Et ce « il y a 20 personnes qui peuvent prendre ton boulot » c’était sans doute beaucoup moins vrai avant l’activation des chômeurs parce que ce n’était pas un boulot que beaucoup de gens avaient envie de pratiquer. Et c’est intéressant de constater que la création des Titres-Services comme dispositif de soutien financier public à l’entretien ménager chez les classes moyennes – parce que c’est ça, hein – a été mise en place en même temps que le contrôle d’activation des chômeurs. C’est deux réformes qui vont en parallèles. Et l’une donne toute sa puissance à l’autre et permet aux employeurs de Titres-Services de garder une position avantageuse dans les négociations. Avoir des chômeurs qui doivent trouver du boulot si possible avec des compétences et qui sont un peu harcelés par l’ONEM c’est très utile pour les employeurs.

Ce que demande ce dispositif de contrôle – l’État social actif comme disait Vandenbroucke – c’est de renverser un petit peu la responsabilité de l’État en disant le chômage ce n’est plus la faute de la société c’est la faute des chômeurs. Comme la misère est la faute des pauvres. C’est à chacun de s’en sortir et même de produire « quelque chose » qui va faire qu’il y a un résultat.

Notre personne focale dans le film ce n’est pas directement les chômeurs, mais le « facilitateur » qui lui, aime son boulot et est un brave type. Est-ce qu’il est sympa ou pas, en fait, on s’en fout. C’est un être humain. Mais sa sympathie ne sert à rien. Elle ne sert pas à trouver du travail aux gens et du coup, il souffre.

C’est consternant de vivre dans une société qui se bat pendant si longtemps pour des droits et finalement les remettre en question, en tout cas essayer au fur et à mesure que le temps passe, de les détricoter. Moi, c’est ce que j’aime dans ce projet de film c’est que l’on vient remettre du débat. Pas remettre du débat mais plutôt proposer de débattre sur une question qui finalement ne s’est jamais débattue depuis 2004 c’est l’efficacité de cette mesure de contrôle puisque « grosso merdo » le taux de chômage est toujours le même depuis cette mise en place. Donc, ça veut dire qu’en plus cette mesure n’a pas eu du tout d’efficacité quoi ! Et pourtant, elle est passée dans l’inconscient collectif – pour peu qu’il existe celui-là. En tout cas, plus personne n’oserait la remettre en question.

C’est évident qui si on perd son emploi et que l’on va au chômage, il y a un moment où l’on sera contrôlé. C’est une évidence pour la majorité de la population en Belgique et ça, c’est vraiment terrible. C’est vraiment terrible d’en arriver là. Ce n’est plus un droit c’est un privilège qu’on vous donne et qui est en plus temporaire. Parce qu’il y a un moment où vous n’aurez plus ce droit au chômage, mais vous irez au CPAS. Là aussi vous serez contrôlés. On ira voir si vous êtes cohabitants ou si vous êtes plutôt isolés. On ira compter le nombre de brosses à dents qu’il y aura dans votre salle de bain et en plus l’assistante sociale qui s’y collera, elle pourra venir à l’improviste un peu comme un juge d’instruction. Non, c’est dingue. Et moi, qui n’ai jamais été au chômage mais qui partage les mêmes valeurs de solidarité qu’Alain, je me dis que tout ça n’est pas normal. Espérons que ce film puisse permettre du débat.

Si les chômeurs sont forts dans ce film, c’est aussi parce qu’on avait envie de lutter contre la culpabilisation des chômeurs. C’est une forme de revanche symbolique par rapport au réel.

Le contrôle automatique on y arrive. Il y a des logiciels qui fliquent le comportement des chômeurs sur le site. – « Il y a une annonce qui vous convenait, vous ne l’avez pas vue ou vous l’avez vue mais vous n’avez pas répondu. » C’est encore pire. Oui la disparition de l’humain est en route.

Appeler quelqu’un « facilitateur » alors que son rôle est de vous expulser du chômage c’est quand même du foutage de gueule total. Et pour continuer dans le foutage de gueule, il semblerait que les contrôleurs cotés wallons [le Forem] aient beaucoup apprécié de faire des contrôles à distance mais on n’appelle pas ça des contrôles en distanciel ça sonne pas bien et ça fait trop brutal. Ils ont inventé le concept de « contrôles en physiciel ». Donc, il y a une personne physique mais elle est dans l’écran.

Quand est-ce que tout ça va exploser ? C’est une vraie question que je me pose quand je vois cette précarisation de plus en plus généralisée. Je ne comprends pas en fait même comment cette société tient encore. C’est fou.

SABINE RINGELHEIM, LUC MALGHEM, PIERRE LORQUET, EDGAR SZOC, PIERRE SCHONBRODT ET ALAIN ELOY POUR LE FILM : EN MARCHE – HISTOIRE DE L’HOMME-MACHINE – https://www.1chat1chat.be/enmarche/

UNE PRODUCTION EKLEKTIK AVEC ZOROBABEL ET LE GSARA ET LA COLLABORATION DU CENTRE LIBREX

ILLUSTRATION : CROPPET-BANNER – EN MARCHE – 2022 –